Beyrouth, ce plateau de jeu de société,
1984

Je passe des heures devant les vidéos d’archives des années soixante-dix et quatre-vingt de l’INA. Mes favorites sont celles où les politiciens libanais se mettent à parler français. La palme, je la décernerais à Nabih Berri, chef de la milice chiite Amal, dans une vidéo datée du 11 février 1984 alors qu’il venait de prendre le contrôle de Beyrouth-Ouest. La guerre est devenue un jeu de société pour les zaïms, un Risk en trois dimensions dont Beyrouth est devenu le plateau.

Les yeux globuleux, le teint pâle, habillé d’un costume couleur vert RATP, il répond aux questions du journaliste dans un français coupé au couteau, en roulant les « r », en les triplant, en les quadruplant même : « Le mètrre carrrré que gouverrne ce prrésident, il n’y a pas un mètrre carrrré maintenant. C’est moi et le forrrces nationaux qui lui a donné deux morrceaux à Beyrouth, le grrrand Beyrouth. Le banlieue sud et Beyrouth-Ouest ! Bon ! Il a perrrdu le banlieue sud, il n’a pas prris la leçon. Toujourrrs il a le choix militaire, il m’a obligé d’utiliser la même choix. C’est pour cela maintenant, l’armée libanaise avec moi ! Ce n’est pas avec lui ! Beyrouth tout entier, ce n’est pas avec lui ! C’est avec nous ! Donc il ne gouverne pas même un mètrrre carrrré du Liban. Du point de vue personnel, il n’a pas même une seule personne qui l’appuie ! Donc, je l’attends. Je l’attends que lui-même va dire voilà, j’ai échoué. »

Dans ces vidéos, j’aime leurs accents, leurs expressions, leurs attitudes. Je me moque totalement du contenu des phrases. Ils peuvent raconter n’importe quoi (et ils racontent n’importe quoi), cela ne change rien à la beauté de ces images.